Ma soeur artiste.
par lolmaquerelle
Salut ma sœur, je t’écris ce matin parce que je veux pas que tu crois que j’ai pas entendu ton appel à l’aide cette fin de semaine. C’est difficile pour moi d’être la grande sœur de mon idole. Cette nuit j’ai rêvé que je passais des entrevues pour être chef dans un restaurant, mais ça a pas rapport. J’ai aussi rêvé que je jouais dans une pièce genre de salle comme La Licorne je pense, bref en plein milieu tu me demandais d’«arrêter de vivre ma vie comme si on était dans une pièce de théâtre». Je m’excuse de t’avoir dit ça trop souvent quand on était petites. Shit, c’est pas ma faute, pendant que les autres enfants écoutaient des bonhommes la fin de semaine, toi t’écoutais des téléromans que pa pis man t’avaient enregistrés. Tu poussais la cassette avec ton gros orteil, pis tu faisais avancer les bouts moins bons, genre quand tu comprenais pas la blague (normal quand on se tappe le Bye bye 1995 à 8 ans), pis j’tavais pognée à faire rewind pour revoir quand les comédiens s’embrassaient.
Je sais pas encore par où commencer. J’ai pas de ligne directrice, mais tu le sais déjà. Maman disait qu’il n’y a qu’une de nous deux pour se retrouver dans le bordel de l’autre. Je te fais confiance.
C’est parfois très difficile de savoir comment te prendre parce que les rares fois où tu laisses entrevoir ta vulnérabilité, tu sembles rapidement le regretter et tu voudrais que tout soit oublié, à partir du moment où tu l’as dit. Tu fais comme si tu changeais d’idée sur tes émotions. Primo, c’est impossible pis deuzio faut pas faire ça (note ici l’utilisation de primo et deuxio, les mots de l’heure ma chouette, les modes reviennent aux dix ans). Tka, moi je sais que c’est parce que tu ne veux pas qu’on s’inquiète pour toi. Encore plus, mettons. Je veux que tu saches qu’on est habitués à tes montagnes russes, on le sait quand il faut qu’on plonge avec toi et quand faut juste te regarder tourner en rond les bras dans les airs parce que tu t’emballes les cheveux gras un samedi matin parce que t’as trop bu de café. Pis c’est CORRECT. Je voudrais mourir plutôt que de ne plus jamais pouvoir assister à ces moments-là.
(T’auras remarqué que là j’essaie tout pour te rassurer, je suis même rendue à citer une auteure qui moi, m’avait fait beaucoup de bien à l’époque où j’aurais crissé ma vie là, pour aller voir ailleurs si j’y étais, 10 points pour l’effort, come on! je t’aime.)
«Éprouver ce sentiment que les autres sont toujours plus naturels que nous, qu’ils n’ont pas à travailler pour être eux-mêmes, comme s’il était toujours plus facile pour l’autre d’être lui-même que pour soi.»
Y’a rien d’évident dans le fait de savoir ce qu’on fait, où on va. À travers mes deux baccs en lettres qui me servent à rien jusqu’à présent, j’ai saisi deux notions au passage.
Primo (non je me tannerai pas de l’utiliser) : savoir que tout le monde est dans le même bateau aide pas pentoute à ce qu’on se sente bien et DEUXIO : s’enlever de la pression par rapport à l’avenir, c’est impossible. Même si tout le monde te dit : ben voyons ! T’AS JUSTE 24 ANS. (Moi, je te l’accorde, t’es vieille, ou du moins t’as vieilli. Je l’ai remarqué à Noël passé, t’as pas parlé de ton ex, j’ai vu ta volonté, je l’ai saluée mentalement, chapeau.) Ça doit être fatiguant être la soeur qui fait des blagues parce qu’elle fait du théâtre, je te l’accorde 100%.
C’est certainement pas le fait que pa pis man t’aime tellement qui fait chier, c’est le fait qu’ils t’aiment «peu importe quoi» qui doit rester dans le travers de la gorge. Désolée si j’ai pas fait rebondir cette phrase plus longtemps dans notre conversation de l’autre jour, c’est que je la comprends tellement, que je ne pouvais pas la commenter. Je peux toujours pas, mais juste te dire qu’ils t’aiment pas «peu importe quoi», genre OD, c’est nowé.
UNE AFFAIRE QUE J’AI APPRISE À L’UNIVERSITÉ :
Ils réussissent à te faire croire que pour arriver à la reconnaissance, il faut passer par les institutions. FAUX. Tout ne doit pas être cadré, être beau, présentable, encore moins en art. Des fois, c’est plate tout le long. Des fois juste 15 minutes. C’est pour ça qu’il faut que tu continues de créer, pour faire des soirée pas plates.
Si ça se trouve, vivre de son art, c’est impossible. L’important, tant qu’à moi, c’est d’en faire. C’est nouveau la prétention qu’il faut faire que ça et perso, j’y crois de moins en moins. Je n’essaie pas de te dire que je ne crois pas en toi de manière détournée. Tout le contraire. Mais justement je CROIS en toi et ça veut dire peu importe où, peu importe comment. Ça veut dire que je crois en toi au complet. Tu as choisi un chemin qui n’est pas tout tracé, ça comporte son lot d’insécurités, mais d’injustices surtout. Là où tu dois faire attention, c’est que tu penses que tu fais partie de ceux qui doivent se remettre en question. Doucement, ma belle sœur. Bien sûr que oui tu dois te remettre en question. À chaque jour, même. Mais pas ton ESSENCE, sacrament, tes actions.
Tu n’es jamais heureuse plus d’une soirée, je le sais. Et même si tu crois que je suis en désaccord avec ça, perso, je trouve que c’est tant mieux, parce qu’au moins, t’as pas la prétention d’arriver en quelque part et de t’écraser dans ce qu’il y a de fait. L’enracinement, c’est ton pire ennemi. Tu te plains de ton inconfort perpétuel, mais tu te pitches dedans dès qu’il passe. Tu veux une job, mais plutôt mourir que d’avoir un quotidien. Tu haïs nos parents d’être prévisibles et eux, c’est toi qu’ils trouvent prévisible. C’est niaiseux que tu t’en fasses autant, mais c’est aussi vraiment beau. C’est normal que tu sois jamais bien, t’aimes rien au complet. Ceux qui aiment au complet connaissent rien au complet, je pense.
Je sais surtout que toi, tu ne tombes pas, tu rebondis.
Si ça ne marche pas dans les écoles de théâtre pour toi l’an prochain, c’est pas parce qu’il y a quelque chose de mieux ailleurs qui t’attend, désolée. Rien ne t’attend. Et ça, nulle part. T’es un gros bébé, qui va continuer de se former toute la vie. Pour les autres, tout se passait avant six ans, toi, tu recommences ta vie aux six mois. C’est dull hen, mais j’aime mieux ça qu’autre chose. Accepte être une artiste. Une vraie. Fais-toi un petit pack sac, pis pars avec ce que t’es, le reste va suivre. Il faut juste que tu aies toujours l’impression d’être là où tu dois être, sinon, pars.
TOUT arrive pour rien, mais toi, tu pars de rien pis t’arrives à quelque chose.