La peine de René-Charles.
par lolmaquerelle
Des fois, j’oublie que les histoires qui me sont arrivées me sont arrivées. J’ai l’impression qu’elles sont arrivées à du monde que je connais, qui me les ont racontées, que je les aie bien écoutées, tellement bien que je peux les sortir en exemple si quelqu’un me parle de quelque chose qui correspond, mais j’ai pas l’impression d’avoir été là, ou sinon juste quelque chose de flou comme un rêve. Je rêve tellement en même temps c’est sûrement normal qu’un moment donné j’arrive plus à faire le tri. Je sais pas si les souvenirs s’usent ou se polissent à force, mais moi y’a rien dans mes vies que je mettrais sur mes tablettes comme des bibelots, y’a rien que je trouve esthétique là-dedans, si les souvenirs se polissent, c’est pas pour en faire des bibelots, ça c’est sûr et s’ils s’usent, ben je suis pas intéressée, aussi ben me souvenir comme du monde, tant qu’à me souvenir malgré moi.
Je me demande comment ça fonctionne rendu à quatre-vingt-deux ans mettons, parce que quatre-vingt-deux ans c’est pas mal ce qu’en ce moment je considère comme vieux parce que là mon père approche soixante, pis ça c’est mon ancien-considéré-comme-vieux. Je me demande aussi si on finit par soi-même se trouver vieux ou ben si on se trouve toujours des défaites; je suis pas vieille, je teins même pas mes cheveux, je suis pas vieille, ma mère est plus vieille que moi, je suis pas vieille parce que j’t’encore capable de dire bonjour pis bye, j’pas vieille j’t’encore capable d’hocher la tête, j’pas vieille j’cligne des yeux…
J’ai l’impression que mes vies commencent à s’accumuler malgré moi en quelque part où je suis pas. C’est correct aussi, je suis pas trop down à l’idée de les trainer encore longtemps. Y’a rien que je voudrais moins que de revenir en arrière. J’ai l’impression d’avoir eu déjà genre huit vies à date. C’est quand même vraiment fatiguant. Des fois, je me demande pourquoi je suis toujours fatiguée, je le sais ben pourquoi au fond, j’pas épaisse, mais faut que je m’essouffle, sinon j’ai peur d’oublier de respirer. Je cours à gauche pis à droite je remplis mon pack-sac d’air qui pèse autant que de la roche.
Moi, mes bobos ont beaucoup voyagé, ils m’ont portée de l’école à la ville, oh oui. J’ai regardé par la fenêtre d’un autobus pendant des longueurs de pays avec mes bobos partout dans mon ipod, j’ai fumé mes bobos dans un parc avec mes amis qui me demandaient qu’est-ce que t’as je disais j’ai rien, faque ils savaient que les bobos étaient là, toujours là, revenus pour combien de temps on sait jamais. Mes bobos je les ai apportés chez le médecin qui regardait même pas au-dessus de ses lunettes, la tête penchée, il croyait pas à mes bobos je les ai pourtant vomis dans un party où je connaissais personne, j’ai taggué mes bobos sur les murs, je les ai barbouillés sur un cul, je les ai bavés sur un chest, droppés dans l’oreille sourde de trop de monde, je les ai écris soigneusement dans une carte d’anniversaire, mes bobos. Je voudrais arrêter d’empiler, je voudrais alléger mon bagage, retourner les sourires de bonté quand la fille me donne mon change à la pharmacie tu comprends. Tout trainer ça, ça devient lourd. Y’a rien que je referais, rien, je vois pas pourquoi je continue à trainer ça.
Je me souviens, quand j’ai rencontré Audrée, elle devait tellement se demander où c’est que je m’en allais avec mon suit de cross country dans les cours de psycho au Cégep. C’EST UNE MÉTAPHORE. J’avais de la peine, j’aimais quelqu’un qui m’aimait pas, FAQUE j’en parlais à Audrée dans les pauses le matin, le midi, le soir avant qu’on s’en aille chacune chez nous. On était pas encore amies de fin de semaine que j’y parlais de mon cœur qui souffrait, j’y faisais des petits récitals de mes poèmes, pas compliqué comme set up, l’important c’était les poèmes, le drame. Elle, a fumait son Honeytime aux pêches pis elle en redemandait pas, mais je continuais. J’y montrais des photos de mon amour encore sans qu’elle ait besoin de le demander, je «prenais les devants» comme on dit. On en parle des fois maintenant en riant, elle me dit que j’suis passée à ça que des fois elle me trouve bizarre, mais le reste du temps j’étais posée, moins obsédée, faque elle m’a donné une chance, ou trois milles, elle les a pas contées. Je suis du genre bébé-gâté, mais c’est moi qui s’est inventé ce statut-là, j’ai jamais été gâtée pourrie pour vrai. Sauf mettons en ce qui a trait au fait qu’Audrée a jamais arrêté de me parler. Maintenant, elle est juste ben au courant que je suis bizarre, mais elle l’est autant que moi, à sa façon. Audrée; c’est mon amie-fille-relaxe qui devait tellement rien comprendre à mes histoires d’acharnements émotionnels. Si je croyais à une théorie fondée sur le genre, je dirais qu’Audrée c’est mon amie-gars, mais ce serait pas vrai, parce que sinon je serais sans doute tombée en amour avec elle avec tsé. On finit par se connaître.
C’est surtout les plus beaux moments de mes vies dont j’ai pus besoin, mais j’assume hen, je toucherais pas non plus aux plus laids, pour jouer fair-play. Si j’y retournais dans ces moments-là, ça les gâcherait, je pense, parce que j’irais avec mon cœur d’aujourd’hui, ma tête de maintenant, faque mon amour qui m’aimait pas, ben j’arrêterais juste d’y parler, je me dirais ben tu m’aimes pas, m’en va trouver quelqu’un qui m’aime, pis je braillerais mettons deux-trois mois au lieu de deux ans. Hey si tout le monde que j’ai aimé m’avait aimée comme je l’ai aimé, à l’heure qu’il est je serais sûrement au métro Beaudry à me regarder dans le miroir, à me dire des qualités en chantant «Un nouveau monde» la chanson d’Aladin, je serais ma seule amie, la meilleure, mais still la seule.
Les meilleurs moments ben y’a ma rencontre avec Audrée par exemple, en psycho, premier cours de Cégep, lundi matin, huit heures; fallait remplir les cases et écrire ce qu’on répondrait si quelqu’un nous accusait de quelque chose. J’avais regardé sur sa copie. À Que répondriez-vous si quelqu’un vous accusait de mentir? Audrée avait écrit : MENTEUR! À bien y penser, je l’ai aimée tout de suite finalement, même si est pas un gars.
Aye pauvre René-Charles hen quand sa blonde va décider qu’a l’aime pu. Je lui souhaite de survivre, honnêtement. Sinon, ben j’habite proche du métro Beaudry, j’irai y porter des biscuits, kekchose.