Les langues personnelles.

par lolmaquerelle

J’ai toujours l’impression que ce que je fais, j’étais censée le faire, en fait je dis j’ai «toujours» l’impression mais c’est surtout quand y fait full soleil dehors à peu près à ce temps-ci de l’année je me dis que je suis pas née pour rien, je me dis que y’avait une raison à mes parents, y’avait une raison à mes grands-parents, y’avait une raison au débarquement de Normandie (ouash quesser je dis là).

Me dire que je fais exactement ce que je suis censée être entrain de faire, ça m’arrive souvent aussi quand je suis avec mon ami Daniel. Daniel il parle pas ENCORE beaucoup français, mais on déjeune entre amis au restaurant et il dit : «Je peux chanter», je dis «Ok, then, chante, Daniel», il dit qu’il veut rapper finalement, je dis «Ok, rappe, Daniel, it is fine with me», Mag fait des beats sur la table, d’autres font des bruits de pet contrôlés dans leurs mains pour que ça fasse comme du beatbox, Daniel droppe the lines, il rappe, il dit : «Bonjour moi mon nom c’est Daniel, je souis avec mes amis, je mange le œuf Binidictine, je souis heureux maintenant que je souis avec vous, mes amis» on répond «Daniel, Daniel, Daniel, Héééé Hooooo Héééé Hooooo».

Je pense toujours trop loin genre je vais aux toilettes publiques et je me rends compte que les séchoirs pour les mains sont actionnés par un œil magique vis-à-vis la main gauche et je m’inquiète pour ceux qui ont juste une main droite. Ouais. Mais quand Daniel rappe à propos du fait qu’il est heureux avec les quelques mots qu’il connaît en français, moi je suis conquise de bonheur aussi, je pense pas plus loin que ça, on se voit une fois tous les quatre ans, mais on s’en fout on est amis, pis ses amis sont aussi mes amis, ainsi de suite. On s’est connus par hasard, les deux on était loin de la maison, on s’est dit bye en se disant à une prochaine fois, la prochaine fois est arrivée, il a invité ses amis chez nous, j’ai invité les miens, on a chanté, on a dansé, plus tard dans la soirée, il y avait un divan dans la rue, ils ont grimpé dessus en disant qu’ils faisaient du couchsurfing. C’est dans ce temps-là que je me dis que je suis exactement au bon moment au bon endroit avec les bonnes personnes t’sais.  Après ça, on se promène en voiture à six dans le coffre cinq sur la banquette arrière, y’a trois conducteurs qui s’obstinent pour le trajet y’a quatre copilotes, ça donne :

–       Where the fuckk are you going?!!!
–       Why are you so rude?? Say you’re sorry.
–       I am sorry. But there are also another thing I’ve always wanted to say in English.
–       Then say it.
–       Taxi, follow that car!

–       I like your bag.
–       Thank you. Look at the branding it says « Do Thebag »
–       I don’t understand it. What does it mean? Is it a joke?
–       I don’t know, I don’t think so.

–       I don’t know how to say it in English.
–       Then say it in German.
–       You speak German?
–       Nop, I don’t, I was only wondering if I could try to understand some words.
–       Ah!

–       Yeah but, how do you make it look poetic on scene if it is only about training and muscles, and sweating?
–       That’s was exactly what my thesis was about.
–       Oh! Interesting.

–       At some point of my life, I was some kind of a hippie.
–       Don’t say that! To me you were always super nice!
–       You don’t know what hippie means, don’t you?
–       Kinda.

–       Vous vous êtes couchés à quelle heure hier?
–       J’sais pas genre 5-6 heures.
–       Fuck, tu dois être magané.
–       Ouin on a jasé full longtemps dans le salon. On a jasé à défaut de frencher.
–       J’trouvais ça full long, je me demandais si t’allais venir te coucher un jour. J’pensais que…
–       Nah man, rien pentoute. Fuck y’est beau. Un moment donné je l’écoutais pu parler pentoute.
–       Peut-être demain, y’a l’air d’un gars sérieux.

–       What are you guys taking about?
–       Nothing!

Après ça c’est fini pour un petit temps, on recommence nos vies les uns sans les autres, sans parler anglais tout le temps, juste en parlant anglais de temps en temps à un client anglophone pis on a des frissons de guilty pleasure à parler anglais parce qu’on se dit qu’on est bon de parler anglais pis sérieux je pense qu’on devrait se sentir bon de se faire comprendre tout court dans n’importe quelle langue. C’est un exploit de parler à un an y’a pas de raisons pour que ça cesse les félicitations de parler, même en français ou en espagnol même si c’est juste un peu grâce à quelques cours pris par-ci par-là on dit tous qu’on sait parler espagnol pis quelqu’un nous dit : «Parle espagnol! :-D» et là c’est compliqué, mais ça peut fonctionner. Ça fonctionne en fait.

Des fois aussi t’entends du portugais dans l’autobus pis ton cœur s’emballe parce que dans ce que tu considères comme une autre vie tu parlais portugais, t’as envie de te retourner, de te vanter, tu voudrais dire : «Je parle portugais aussi eee je veux dire falo Portugues tambem!», mais tu dis rien, tu checkes ton cell, tu baisses le son de ta musique pour tout écouter ce qui se disent en portugais, t’es content de comprendre, mais tu fais rien comme un petit cabochon-niaiseux. Tu gardes ta langue apprise dans un petit tiroir dans ta tête, ben ben ben cachée, tu voudrais pas abimer ta langue étrangère, tes souvenirs, tu voudrais pas qu’on rit de tes re-premiers pas, tu voudrais pas déshonorer ta langue apprise, tu l’entretiens pas mais tu te dis que tu l’as en cas, pour les grandes occasions. Quand la grande occasion arrive t’es gêné de sortir ta langue apprise faque ta langue apprise elle meurt dans ton cerveau, c’est comme ça que les langues mortes se créent. Si y’a ben de quoi de pas personnel, c’est ben les langues apprises, mais ça devient quelque chose d’hyper intime qu’on veut garder pour soit à un certain point. Niaiseux qu’on est.

 

L’important, je l’ai compris en français dans ma tête. Après ça je l’ai dit à Daniel en anglais, j’ai dit : «The important thing, Daniel, is that we understand each other, so we can agree on : Which park will we go to play this afternoon?». Y’était d’accord, on s’est tappé dans la main. Y’a dit : «Je suis heureux avec mes amis, maintenant». J’ai pas ri de lui, j’ai dit : «Ok Daniel, on va parler français tout l’après-midi, tu vas te pratiquer». Y’a dit : «Ok! Cool! During dinner we’ll practice your Spanish».

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J’étais stressée, mais je me disais que c’était la bonne chose à faire ce soir-là.