Mes beaux cheveux blond soleil couchant.

par lolmaquerelle

Estique que ça vend la nosta. Tout est fait en fonction qu’on soit nostalgique, on est tellement nostalgique qu’on dirait que c’est pour ça qu’on est né. Normal estique, on est né avec une caméra din mains pour se faire dire : Va te mettre devant ce beau building-là, on va prendre une photo, din coup que te souvenir que t’es allé ça suffit pas, din coup que tu te crois pas que t’es allé là tant que tu te vois pas sur la photo. Tant qu’à, prends donc ton bol de céréales en photo! Din coup que tu te crois pas toi-même dans quatre ans que t’as mangé ce beau bol de belles céréales-là, ce matin-là, avec cette cuillère-là. Prends-lé en photo ton beau bol couleuré, faut que tu sois ben ben certain de t’en souvenir. Din coup tu te dis : «Ben eeee non pense pas avoir déjà mangé ça». BEN LÀ T’AURAS LA PREUVE que t’as déjà mangé ça, pis ça, c’est quand même nice, parce que comme ça t’es pas pogné à tout regoûter deux pis trois pis quatre fois dans ta vie. Faudrait pas passer notre précieux temps à goûter pis regoûter des trucs quand même y’a ben des limites à la perte de temps!

Vive les kodaks sur les cells! Vive les filtres sur instacrotte, vive la fille qui a pris 1029 selfies d’elle-même au parc avec son chum qui voulait juste manger sa cuisse de poulet tranquille. Vive elle tellement into the selfie qu’elle a pas vu qu’on était six à la regarder à la table d’à côté. Vive elle qui s’est défait les cheveux, refait les cheveux, pris une photo avec la paille dans la bouche, la paille à côté de la bouche, avec une bouchée de poulet dans la bouche, sans bouchée de poulet dans la bouche. Une bouchée, une photo, une autre bouchée, une autre photo. Selon le DSM-V, la selfie c’est une maladie mentale. Chu d’accord. Vive cette fille-là qui sait sans doute même pas que dire : «Une selfie de soi-même», c’est un pléonasme. Fuck la monotonie alimentaire, vive les coupes de fruits pleines de hashtags, vive les bouchées de poulet mémorables, fuck les souvenirs dans la tête! Des souvenirs dans tête c’est comme lire un livre au lieu d’écouter un film, ça s’équivaut pas, les souvenirs dans la tête c’est un livre pour les pauvres qui peuvent pas se payer le cinéma. Les souvenirs dans la tête c’est quand tu veux pas vraiment te rappeler, sinon faut se faire soi-même son propre livre mental, ça gosse, quelle perte de temps! Fuck les pertes de temps.

J’ai vu des affaires. J’ai vu que le monde de 13 ans se prend en photo. Plusieurs fois par jour, j’ai vu que le monde de 13 ans se prend en photo. Ce monde-là crée des souvenirs tout le temps au lieu de réellement grandir dans une rencontre autour d’un McFleury ou bedon il chante, oui, sauf que c’est pour montrer la plupart du temps. On entre dans l’air de la démonstration du souvenir au lieu de l’émotion du souvenir. Une photo, c’est une demande d’amitié. Quand t’as une photo avec quelqu’un, ça devient ton ami. Après ça, il vient chez vous prendre d’autres photos avec toi pour montrer à vos amis communs que vous êtes amis. C’est ça que j’ai catché. Il faudrait leur dire à eux pis à nous aussi quand même qu’un souvenir c’est personnel. On l’oublie. Pas le souvenir estique, non, ça, on l’oublie pas, on en a quarante copies, ce qu’on oublie, c’est la sentimentalité du souvenir, ou pire! on l’invente. Avec un filtre soleil couchant.

J’ai déjà dit à ma collègue : «C’est niaiseux ce que je vais dire, mais j’aimerais ça être moins photogénique». C’est ben sûr qu’elle savait pas trop quoi en penser. Si je voulais me la jouer troisième degré je dirais que j’ai trop d’amis (une photo=demande d’amitié), mais c’est pas ça je feel pas troisième degré le premier me touche assez déjà. L’affaire c’est que, des fois je me dis que si j’avais une seule photo de moi par année mettons, genre devant ce qu’a l’air mon habitation, avec ce qui me sert de vêtements et avec les gens qui partagent mon quotidien, mettons un maximum de 5 personnes (l’exercice d’imagination ici est quand même hot), je serais quand même capable de me représenter pas pire mon année 1998 mettons, avec les souvenirs qui me servent encore, ceux-là qui m’ont fait grandir. C’t’en masse. Parce que là comme c’est là j’ai 2000 photos de moi sur lesquelles je look ben trop. Je regarde ça pis j’me trouve pas pire deg en ce moment, je regarde des photos de soupers de la semaine passée avec un filtre en soleil couchant dans mes beaux cheveux blonds bébé et je me dis que ce mardi-là j’étais à mon top de beauté, que je pourrai jamais égaler ça dans ma vie, que ma vie de beauté est finie. Je suis super triste quand je réalise à quoi je ressemble en ce moment dans mon miroir de salle de bain avec ma lumière qui flashe un peu sur mes cheveux blond pipi.

Avant même Facecrotte pis les affaires d’Internet de filtres pis de poses dans les champs avec des doigts en forme de cœur sur des bedaines prêtes à exploser pis de petites filles avec des broches pis des shorts de la même longueur que leur estime d’elles-mêmes (des shorts shorts, t’a pognes tu), même avant le kodak numérique, bref quand j’avais 14 ans, une de mes amies me forçait des fois à regarder avec elle des photos d’elle à 12-13 ans, de voyages avec ses parents. Elle me faisait remarquer comment sa peau avait l’air douce, comment ses hanches étaient pas toutes déformées, comment sa couleur de cheveux était bien réussie. Je sais pas pourquoi on faisait ça, en fait je le sais, elle aimait toujours mieux l’image d’elle dans le passé, en vacances, sul bord d’un lac, pas de hanches, c’était l’idéal atteint et à réatteindre. Elle dans le passé, c’était son elle préféré. Normal. La photo est prise, est finie, est là, pis tu peux jamais la recommencer, tu peux pas la changer, elle parle pas, tu lui fait dire ce que tu veux. L’affaire qu’on oublie, c’est qu’une photo, c’est une partie de la réalité, c’est jamais la réalité dans son ensemble. Même une vidéo. En tout cas j’espère pour moi parce que crime que ma voix gosse sur une vidéo. Un souvenir c’est pas fait pour être comparé, c’est fait pour être remémoré. C’est pas en compétition ni avec d’autres souvenirs, ni avec le présent. Le passé va toujours complètement torcher le présent en termes de popularité anyway, sauf si t’as souffert de bullying pis que tu t’en es sorti, mais c’est pas de ça que je parle.

Le passé c’est une image qu’on se fait avec des éléments qui nous arrangent pour l’avenir. J’pense.

Il y a eu plusieurs étapes à la construction de la nostalgie dans nos vies et un peu tout est responsable de ça, dont nous-mêmes, entre autres, (mais t’sais c’est surtout les autres là les coupables pas tellement moi parce que moi je suis responsable de pas tellement d’affaires là je subis surtout t’sais, les changements climatiques surtout ayoye je fais full pitié j’ai full chaud ☹).

Je nous trouve déjà fatigués, jeunes adeptes et fidèles abonnés de la nostalgie, paresseux du moment présent, vantards d’affaires normales. Je trouve plusieurs choses dommage qui se répondent toutes entre elles. Je trouve dommage que lorsqu’on jardine, on prenne notre jardin en photo pour le montrer au monde entier, je trouve ça très dommage. Je trouve ça très dommage de laisser des traces sur le web de notre mochaccino, je trouve ça très dommage. Je trouve aussi très dommage que le dimanche, on se TAG IN à une game de baseball, je trouve ça très dommage.
C’est triste de se faire greffer un cell dans la main gauche alors qu’on a encore besoin de nos deux mains pour tellement de trucs. Dire bonjour, entres autres.

Maintenant

Maintenant

Ben oui deux mains pour dire bonjour, d’une main tu tiens ton cell pis de l’autre tu fais coucou à ton ami sur FaceTime.