Vieillir loin.

par lolmaquerelle

Salut! Je suis dans l’avion, Rio de Janeiro c’est fini. Pour encore quatre ans, si je me fie à nos envies de toujours revenir. On a convaincu nos amis Gustavo pis Fernanda de venir nous visiter à Montréal, ça a pas été ben ben compliqué, juste de leur dire qu’on a des systèmes de chauffage ça les a convaincus. Gustavo parle beaucoup encore, il est très intelligent, je sais pas si j’avais jamais su qu’il était économiste ou ben si je préférais me rappeler autre chose de sa personnalité. Quand on s’est dit bye on était tous tristes de se quitter, c’est poche aimer autant du monde que tu peux pas avoir proche. Sans doute que ça fait que je les aime plus aussi je sais pas trop, des fois je comprends même pas ce qu’ils disent pis je les aime quand même, peut-être que j’aime l’image que je m’en fais, le beau couple de gentils cariocas qui ont les valeurs à la bonne place.

C’est drôle parce que quand je les ai rencontrés, ils m’avaient pas marquée particulièrement, en fait je pensais toujours au gars que j’avais rencontré à Sao Paulo, celui-là même avec qui j’avais commencé à croire au destin. On s’était rencontrés deux fois par hasard dans une des plus grandes villes du monde, je me disais que rien arrive pour rien. Aujourd’hui je sais que j’avais aussi rencontré deux fois deux filles ben simples de Gatineau pendant le même voyage, deux fois elle aussi, pis que ça m’avait pas fait croire au destin. Je pense que quand on croit juste au destin qui fait notre affaire c’est un peu bébé pis pas vrai pentoute.

Si tu voulais savoir, j’ai pas revu le gars de Sao Paulo. Je lui avais écrit pour le revoir, il m’avait dit qu’on trouverait ben le moyen de sortir prendre un verre, il ma réécrit le jour de mon départ qu’il était vraiment désolé de pas avoir pu m’écrire plus tôt. Venant d’un dude qui travaille pour Google, j’ai ben compris que ça y tentait juste pas tant. Tout le monde y est allé de sa propre hypothèse, moi j’en ai une aussi, elle s’intitule : « Salut, je suis un gars qui va avoir trente ans qui est en relation avec une cute fille de mon âge pis j’ai pas envie de mettre ma vie sur pause pour aller me saouler avec une fille que je connais pas et devoir expliquer à ma cute fille de mon âge que c’est le destin pis qu’elle peut rien y changer si j’ai envie d’aller me saouler avec mon destin ».

Fernanda a fait de la lasagne pis on est ben contentes d’en manger, fuck le riz pis les beans han comme on dit. Depuis notre dernière visite, ils ont eu un bébé, un vraiment beau bébé. On joue avec le bébé, ça me fait du bien de mettre mon voyage sur pause deux petites minutes le temps de me faire apprivoiser par un bébé magnifique qui demande rien d’autre que des beaux sourires pis qu’on l’aide à apprendre à marcher. On avait apporté de la bière, mais Fernanda peut pas en boire parce que son bébé mange ses seins pour déjeuner dîner souper. C’est correct, on continue de parler. On parle de nous pas mal, je parle mal de moi parce que je sais pas par où commencer, quelques classiques malaises signés moi-même, des fois je pogne le fix sur rien parce que j’essaie de réaliser que je mange de la lasagne chez mes amis à Rio. Notre autre  amie Karen arrive entre temps avec son chum, autre classique malaise quand je leur demande si y’habitent ensemble, j’avais mal vu les dernières photos sur Facebook, son nouveau chum est plus foncé, c’est pus le même que les dernières fois. On parle de nos amis communs au Canada, ils s’informent à savoir s’ils vont se marier, on dit nonnnnnn c’est pas comme ça que ça fonctionne, ils comprennent, on comprend que Karen déménagera pas pentoute tout de suite avec son nouveau chum.

Le temps est compté tout le temps est compté quand t’as des amis qui habitent à Rio tu sauras, faut que tu comptes tes menutes passées avec eux parce que c’est des menutes que tu prends aux quatre ans quand tes chanceux ou ben aux dix ans ou ben une fois dans ta vie. La preuve, Claudie s’est acheté un Redbull en y allant : « Je les vois pas souvent, je veux maximiser mon temps ». J’ai compris même si je m’en suis pas acheté un, c’est juste que je trippe pas Redbull.

Gustavo arrive de travailler, y’embrasse ses bébés, sa belle blonde, son beau fils, son amie Karen, son chum bronzé pis ses amies blanches comme la neige qu’on a trop eue cette année. Y’est tellement content, on le voit avoir les yeux mouillés, mais on dit rien ni une ni l’autre. Nous on a eu toute la journée pour se dire comment on avait hâte, lui il travaillait. Il nous dit qu’il est vraiment content d’arriver chez lui ce soir-là parce qu’il adore la lasagne. Première joke de la soirée, en passant merci de comprendre que je suis juste pas tant capable d’en faire en portugais, mais que ça veut pas dire que je comprends pas les tiennes buddy.

Il range les jeux de bébé dès qu’il arrive au salon, un peu nerveusement, il met de la musique sur la télé. « On va faire semblant qu’on est encore capables de recevoir des gens ». Gustavo et Fernanda ont rencontré Claudie ben sua brosse à Bonito dans une auberge de jeunesse, ils les ont invitées elle pis une autre fille à rester chez eux. Ils se sont saoulés pendant quelques jours, les filles sont reparties. J’ai hérité de cette amitié post-brosse-là l’année d’après quand j’ai étudié au Brésil. Je suis ben contente. Vive la bière.

C’est quand même stressant de savoir si on a encore des amis dans un autre pays même si on peut pas boire de bière parce que notre bébé mange nos seins pour souper. On s’en est bien tiré. Gustavo avait chaud dans le front, c’est normal faut parler vite quand les minutes sont comptées je l’ai dit tantôt. « Alors, qu’est-ce qui s’est passé à Montréal? » On lui raconte pas mal de trucs, on s’informe gros moi pis ma chum de fille. C’est important. La première fois que j’ai voyagé pis que quelqu’un m’a demandé la capitale du Canada pis que j’ai pas su quoi répondre, je me suis donné le goût de me renvoyer moi-même dans mon propre pays en apprendre un peu sur mes shits avant d’aller faire ma fraîche dans d’autres pays. Avec un beau petit coup de pied dans le han bon. On ose finalement leur demander :
– Alors, qu’est-ce vous pensez de la coupe du monde au Brésil?
– Ils nous ont pas consulté, c’est dommage. Le Brésil est une démocratie et les gens en sont de plus en plus conscients, c’est une bonne chose, mais il y a encore du travail à faire. Moi, je suis plus qu’un vieux communiste à la retraite, je travaille dans un gros bureau, du mauvais côté de la force.
– Je vais manifester pour toi, Gustavo, j’ai étudié en littérature et je n’ai pas d’enfants.

Il sourit. Ça joue rough pour le copain-bronzé-avocat de Karen, mais on est chez Gustavo et Fernanda, tout est permis.

– Vous allez voir les filles, voyager quand on vieillit, c’est pas la même chose, on n’est plus aussi facilement émerveillés, c’est une bonne chose que vous vous promeniez beaucoup. Dès qu’on les a rencontrées à l’auberge ces deux-là, on savait qu’il fallait en prendre soin. On a toujours aimé les enfants, c’est comme si elles étaient les nôtres. On espère que d’autres feront la même chose pour nos enfants un jour.

Ah, donc il y a peut-être un destin et il n’aurait rien à voir avec Francisco.

– Détrompez-vous, c’est bon de vieillir. C’est seulement qu’on apprécie plus la sécurité, d’etre confortable, etc. Still we are backpackers, Fernanda est encore la première à sauter dans un lac situé sur le sommet d’une montagne au Mozambique.

J’ai pas peur de vieillir dans le sens avoir des rides. J’ai peur de recevoir un jour chez moi le fils de Gustavo pis Fernanda, pis pleurer quand je vais le voir, pis avoir juste envie de lui dire : « Je t’ai connu grand comme ça ». Je me souviens quand le monde me disait ça quand j’étais jeune, je m’en torchais comme c’était pas permis. Mais un jour ça va être moi cette madame-là gossante. C’est ça que j’hais dans le fait de vieillir. Ça pis le fait qu’après que Fernanda pis Gustavo soient enfin venus à Montréal, je sais pas quand je les reverrai, je partagerai peut-être plus de soupers avec eux, peut-être juste des souvenirs. Ça me rend folle, je pensais jamais à ça avant. Je vieillis pis c’est bizarre de m’en rendre compte à Rio de Janeiro.

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Je pense à mon nouvel appart à Montréal, mes coussins, mes rideaux, mon poêle, pis je les trouve confortables. Je pense à toi aussi, je suis pas habituée que quelqu’un m’attende, je suis heureuse que tu m’attendes, mais still, chu une backpackeuse je pense.