Les plus belles années de ma vie (Part One).

par lolmaquerelle

V’là deux semaines, j’ai déménagé à Montréal pour de bon. J’avais mon appartement depuis le premier juillet, je venais installer des petites affaires par-ci par-là, je me sentais vieille parce que j’achetais de la déco au lieu du linge quand je magasinais avec mes amis. Dans une vente de garage, j’ai acheté trois divans pareils mais pas de la même couleur pour mettre dans mon salon, je les ai installés un par un, fin de semaine par fin de semaine parce que je conduis une Toyota Tercel faque bon c’est dit. Après ça j’ai commencé à déménager mon linge, je faisais Québec-Montréal une fois par semaine et demie, quand j’avais un congé, je venais toujours avec une amie différente, on soufflait le matelas gonflable double de chez mes parents, on se saoulait, le lendemain on peinturait ou genre on allait acheter une tablette qu’on posait pas, je ramassais du mieux que je pouvais mais pas trop –c’est chez nous!- pis on retournait le soir même à Québec. La fin de semaine où j’ai finalement reçu mon lit, je pouvais pas prendre congé pour venir dormir dans mon apparte, mais ma tante avait congé, elle. Elle a demandé les clés de mon apparte à ma mère pendant que je travaillais. Je l’aime ma tante, c’est même pas ça le problème, c’est juste que j’avais imaginé que c’était moi la première à dormir dans mon apparte dans mon lit dans ma nouvelle ville. Faque j’ai pleuré parce que mon apparte, c’était mon nouveau jouet pis que même si on grandit nos nouveaux jouets on reste bébé quand y’en est question.

J’ai fini par avoir aussi une table de salon, avec des pattes en or pis le dessus en vitre, comme si j’étais quelqu’un de chic… quand même une table de salon que j’adore pour dans ma nouvelle vie adorable. J’ai à peu près deux cadres et demi de décoration (un que je vais pas utiliser pour sûr, mais que j’ai quand même mis dans mes boîtes pour faire plaisir à quelqu’un qui voulait vraiment voir ce cadre-là chez nous). J’ai trois napperons dépareillés, cinq fourchettes pis six verres, dont deux shooters.

J’ai eu mon party de départ de Québec y’a deux semaines et demie, après mon dernier shift à ma job, j’ai toujours travaillé là, c’est vraiment fucké c’est ma seule référence sur mon C.V. J’ai plein de groupes d’amis, y’a mes amis de job, mes amis du secondaire, pis mes amis du CÉGEP, y’a aussi les amis de mes cousines avec qui je me tiens des fois en ville. Je parle à tout le monde, j’pas gênée. C’était un pas pire gros party de départ, mes parents avaient fait un BBQ c’est sûr que moi j’ai juste remarqué que Jay était pas là, mais c’est entre autres pour ça que j’ai voulu m’en aller, j’étais tannée de l’espérer partout. Mes amis du secondaire m’ont fait une vidéo pour mon départ, j’ai pas pleuré même si ça paraissait que y’auraient aimé ça que je pleure, c’est pas vraiment mon genre pis moi je trouve pas ça triste déménager.

J’ai fait mon cours de Zumba fitness 1 à Québec, je l’ai jamais enseigné à date, mais pendant mon bac j’ai décidé de prendre un contrat au Centre Père Marquette dans Rosemont Petite Patrie. À ce qui paraît, quand on est étudiant à l’université, c’est tough de joindre les deux bouts. J’verrai. J’avais pas vraiment d’opinion sur la grève en 2012.

J’ai dix-neuf ans. J’ai une petite idée de comment fonctionne la plupart de mes électros, mes parents ont bien fait ça. Je trouve qui fait déjà froid dans mon appart, j’avais jamais eu froid avant, on dirait. Pas comme ça en tout cas, jamais ce froid-là. Je mets une veste pis ça change rien, je veux pas mettre le chauffage parce qu’à ce qui paraît hydro, ça coûte cher. Je verrai. Mes murs sont peinturés, j’ai fait ma vaisselle, mon linge est pas plié, mais je le plierai pas, y’a personne pour m’obliger, ça au moins c’est nice.

J’attends que le fun commence.

Y’a rien qui se passe.

Je peux pas vraiment en parler parce que mes parents s’inquièteraient, mon ex saurait que j’ai pas réellement tout le fun que je prétends avoir, pis mes amis me diraient de revenir, que c’est ma faute, j’avais juste à pas partir.

Pour dire ça poliment, c’est vrai, j’ai aucune idée de ce que je côlisse icitte.
J’étudie en enseignement du français au secondaire parce que l’orienteur m’a dit que c’était ça mon profil, en février de secondaire cinq pis fallait faire la demande d’admission au CÉGEP avant mars. J’ai fait mon CÉGEP en arts et lettres parce que y’a pas de pré-requis pour devenir prof de français au secondaire pis je voulais pas de math, ça je sais que j’haïs ça. C’est pas mal tout ce que je sais en ce moment, que j’haïs les maths. J’ai toujours haïs ça. Sinon à part ça. Je sais pas.

Dans les cours à l’école tout le monde a l’air de se connaître déjà. Je les ai vus arriver dans’ classe, on aurait dit qu’ils s’étaient fait déjà quarante deux réunions d’élèves sans moi, y’en a même une qui a complimenté une fille sur ses nouveaux cheveux. J’étais où moi pendant qu’ils se créaient des liens universitaires? Y’a du monde qui se serre dans leurs bras. C’est pas que je voudrais serrer quelqu’un dans mes bras, j’aurais juste aimé ça dire salut à quelqu’un, même sans m’assoir avec, juste dire salut, du bout des doigts, limite l’haïr dans ma tête, mais juste voir un visage familier, même pas familier, peut-être juste voir une fille que j’aurais déjà vue dans une annonce à la télé ça aurait fait l’affaire. J’avais jamais même PENSÉ que ça me ferait de quoi d’avoir personne à saluer en entrant dans une pièce. Des fois chez mes parents quand j’étais frue je partais sans dire bye pis je me sentais vraiment mal après. On dirait que dire salut pis bye, c’est dans mes gènes. C’est contre-nature pour moi de m’assoir dans classe pis de juste sortir mes crayons (tout le monde a son ordi, ça aussi je catche pas). J’ai fini par me faire un genre d’amie. On s’assoit à côté parce qu’on est toutes seules les deux, mais a l’aimerait ça me parler pendant le cours pis je trouve ça gossant le monde qui parle par-dessus le prof, faque après le cours j’y dit bye vite pis je pars. J’ai même pas bu une bière depuis que l’école est commencée, mon initiation c’était de la marde, j’étais tannée de me faire pitcher des œufs pis de courir avec une patate dans un bas de nylon entre les jambes faque entre deux activités de marde, j’ai fait un sourire à celle qui est devenue mon genre d’amie, pis je me suis poussée.

Y’a un local étudiant, je suis passée devant kek fois. Le monde se parle pis rit fort. Comment y’en sont venus à tous se connaître autant? Je catche rien. Le premier jour, ceux-là y’avaient déjà leurs agendas, pis d’autres avaient leurs manuels d’achetés pour les cours de base j’ai entendu une fille dire «ma sœur m’a dit qu’on allait full l’utiliser cel-là» quesser ça sont combien de prof de français dans famille? Je sais même pas où faire faire ma carte étudiante. Ils se récitent des bouts des livres qu’on a à lire en riant pis en comparant ça à d’autres trucs qu’ils connaissent. Le mois de septembre a l’air tellement facile pour eux, à date. Je sais que je retourne chez nous la fin de semaine du trois octobre. Ça va être long d’ici-là. J’ai passé devant un salon de coiffure l’autre fois pis j’ai décidé d’aller me faire couper les cheveux, parce qu’une femme qui se coupe les cheveux est une femme qui change de vie. J’y crois pas full, mais au moins ça m’a occupé l’esprit pendant cinquante bonnes minutes. Le gars a été smatt, il m’a posé quelques questions sauf qu’on dirait que j’allais toujours pleuré, faque y’a arrêté, c’est pour ça que je dis qu’il a été smatt.

Y’a de mes amis qui m’écrivent les plus longs e-mails d’ennui que j’ai jamais lu. Je leur «manque trop». Moi aussi je m’ennuie, mais pas de cette façon-là. Je m’ennuie parce que je sais pas quoi faire de plus. J’ai fait mon épicerie, j’t’allée au marché Jean Talon m’acheter des légumes parce que tout le monde m’en avait toujours parlé. J’étais fière d’avoir trouvé le spot, mais après ça je suis quand même revenue chez nous, toute seule. Le monde a l’air à l’aise en général, mais moi je le suis trop pas. Je veux pas retourner à Québec, mais je suis pas mieux ici que je l’étais là-bas.

Là c’est samedi faque ma mère va m’appeler vers midi parce qu’avant elle a peur de me réveiller et que je sois de mauvaise humeur. Je sais pas si je vais répondre parce que j’ai juste peur de me mettre à brailler. Je pourrais lui apprendre qu’on se lève pas tard quand on a rien fait le vendredi soir, mais je dirai rien, je veux pas l’inquiéter. Je vais me donner une chance pis un coup de pied dans le cul. J’hais les maths pis je suis pas quelqu’un de gêné. C’est juste deux vérités que je sais sur moi, mais c’est déjà pas pire, l’an passé même date je trippais tellement sur Jay que j’aurais même pas pu dire deux vérités sur moi s’il les avait pas acquiescées préalablement.

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 Ah pis r’garde donc ça, j’utilise des beaux mots. C’est vrai, chu full bonne au Scrabble. Trois vérités.

 Crédits photo : Christian Quezada