Bernard chuchotait.
par lolmaquerelle
Bernard a jamais été mon ami à moi. C’était toujours l’ami des autres autour de moi. Il trippait ben raide sur mes amies pis avec mes amies. Il gamait avec une pis se prenait en photo tout nu dans la douche avec une autre. Allait en voyage en Europe avec celle-ci et s’appelait bébé avec l’autre. Des affaires de même. Des fois je finissais par voir les photos de voyage ou ben les photos de rideaux de douche transparent. J’étais comme spectatrice de son amitié avec le monde, avec notre monde, ses aventures sexy. Toujours sans qu’on se dise ben ben plus que salut ou ben salut ça va, ou ben peut-être comme ah tu viens d’arriver ou ben scuse je voudrais juste me prendre un verre ah ok scuse. On se voyait de loin, ou direct dans mon salon, je le croisais de temps en temps dans ses apparts parce qu’on évoluait comme deux belles planètes une autour de l’autre, je faisais semblant qu’il me manquait dans les partys quand il était pas là, ça faisait rire le monde parce qu’on s’est jamais vraiment dit plus que salut, comme je viens de dire, ou ben salut ça va, comme je viens de dire. Je l’invitais quand même toujours à mes soirées et la seule raison pourquoi il m’invitait pas aux siennes, c’est qu’il en faisait pas. Ben oui. Bernard était de ces beaux bonhommes ténébreux depuis l’adolescence, qui se replace la couette pis que tout le monde est comme watawow quand il se replace la couette. Des photos argentiques de lui qui fait juste être beau dans le centre-ville en veux-tu en v’là. Pourquoi je dis ça c’est que je m’imaginais qu’il avait pas besoin d’organiser de soirées parce que tout le monde venait à lui tout le temps sans qu’il ait besoin de lever le petit doigt à cause qu’il était beau rare. Pendant plusieurs années, ça a été ça.
Je me souviens pas comment on a eu l’idée, je comprends pas quand est-ce qu’on a pu s’en parler dans nos salut pis nos bye mais bref c’est arrivé, on a eu l’idée de faire un court métrage ensemble. Un film qui a finalement jamais abouti, il dort quelque part dans un disque dur depuis plusieurs années, comme beaucoup de courts métrages, on les salue d’ailleurs ce matin. Whatev. Bernard était poli, drôle, gentil, avenant même genre??? Pis à l’heure. Moi, le monde pas à l’heure, là! Un moment donné fallait tourner le matin tôt pis j’avais toujours mes doutes pis mes aprioris à propos de lui parce que je me disais beau de même il doit même pas être à l’heure, j’te gage, mais non il était là. Ah mes aprioris, mes beaux aprioris que j’aime que je chéris que je dorlotte! Finalement devant moi, deboute et prêt, caméra en main, Bernard professionnel. Même qu’il chuchotait dans mon appart parce que c’était très tôt le matin. Moi, le monde qui sait pas chuchoter, là!
Y’a deux étés avec notre monde on s’organise une sortie en dehors de la ville pis je suis censée lifter au moins trois personnes, dont Bernard. Histoire courte : tout le monde choke ou ben se trouve un autre lift, sauf lui. Je suis comme colique je suis mal à l’aise, va falloir que je me fasse la conversation tout le long, il dit jamais rien, beau de même ça parle jamais, ça fait juste se replacer la couette. Au pire on écoutera la radio, ouin on écoutera la radio, ça va être un trajet plate, mais bon.
Il arrive chez nous le matin même super à l’heure, super ponctuel, super présent, il parle pas trop fort, c’est le matin. On part la machine. C’est doux, calme, gentil. On se parle des dernières années, des heures à venir, du tract, des amitiés de longue date, des grandes ruptures et des plus petites qui nous fouettent notre grande rupture dans la face, des aprioris, justement, du saut dans l’âge adulte, les contrats qui rentrent pas, la mort qui guette de son bord de la vie, de la maladie qui rôde, la famille, les heures de solitude entourée. La conversation se passe, les minutes se donnent, on décide d’arrêter manger au resto parce qu’on tombe vraiment pas rushé.es d’arriver ailleurs qu’où on se trouve, juste ensemble, là là, dans le moment qui nous appartient de plus en plus. Je lui parle d’affaires que j’avais jamais formulées avant, il les accueille en souriant, il renchérit avec son petit mou vulnérable, que j’écoute et comprends. Notre rencontre à ce moment-là, au milieu de nos mouvements respectifs, nous rassure et nous encourage.
Ce sont ces moments-là qui me manquent le plus. Les surprises d’autoroute 20, le luxe du partage et la quiétude de la confiance inespérée. Pas prévoir les confidences et les laisser monter quand elles arrivent, imprévues, leur offrir de s’assoir et prendre le temps.
On a fini par rejoindre les nôtres pis tout le monde se demandait où on était, on était en retard mais nous on savait que non.
Ce sont ces moments-là qui me manquent le plus. Les surprises d’autoroute 20, le luxe du partage et la quiétude de la confiance inespérée. Pas prévoir les confidences et les laisser monter quand elles arrivent, imprévues, leur offrir de s’assoir et prendre un café. Ces temps-ci, il faut prévoir l’abandon, lui donner rendez-vous, c’est contre-intuitif et niaiseux, on effleure à peine les différentes formes que peuvent prendre l’intimité et la bienveillance.
J’aurais jamais pu deviner que tout ce temps, Bernard savait chuchoter.