Salut là!
Bon alors d’abord merci de l’invitation. C’est une belle invitation. Pas très compromettante, un peu plate tellement qu’est pas compromettante, mais je comprends, moi non plus je suis jamais très compromettante dans mes courriels. On dira ce qu’on voudra, faire semblant qu’on est amis c’est encore la meilleure chose à faire. À peine de fautes d’orthographe, good job pour ça, une entrée en matière très ordinaire, une joke pas drôle pour commencer j’pas frue ça fait juste longtemps qu’on s’est vus. Un moment donné on peut pas s’inventer des insides tu seul chacun de notre bord que je me dis han. Quand même beau paragraphe de développement, la conclue est biz mais j’avoue moi non plus je sais jamais si faut que je sois plus TROP ou plus pas assez. Un beau et bref «Salut là!» c’est souvent ça qui l’emporte pour ma signature, même si j’ai toujours envie d’écrire RÉPONDS-MOI SITEPLAIT OUBLIE-MOI PAS OUBLIE-MOI JAMAIS!!!!!!!!
En tout cas correct beau message, je soupçonne même une relecture. Je me trompe? T’es-tu relu oui ou non? D’après moi oui pis plus d’une fois. Je m’en attendais un peu à cette invitation-là c’est à peu près notre temps de l’année ousser qu’on a envie d’aller voir si l’autre a pas des nouveaux petits criss de grains de beauté qui y ont poussé en notre absence. Tes astiques de nouveaux grains de beauté côlique que je les haïs quand je les vois pour la première fois. Après trente minutes de parlage et après la première pinte terminée souvent je les haïs moins, même que je les aime déjà, mais quand on arrive et qu’on se fait la bise j’ai l’impression qu’ils me sautent dans la face comme témoins de notre mensonge ça me fait crisser des dents ça a même pas de classe. Je te regarde à peine pour par tomber par en arrière d’être fusillée de tes petits criss de grains de beauté pis je les vois tous quand même, inédits, naissants, asymétriques. Ton cheveu gris sur ta tempe droite la dernière fois m’a empêchée d’avoir du fun avant la fin de la deuxième pinte.
Assis chacun de notre côté de la table, on fait ça, aller se dire dans notre tête un devant l’autre qu’on a fait le mauvais choix de quotidienneté, mais que c’est ça la vie, on va rien y changer, on est trop chicken pour la recommencer et on se dit qu’anyway si on s’avait on se voudrait moins. Peut-être. J’sais pas parce qu’on se le dit pas, ce serait pas smatte pour ceux qui nous attendent si on se le disait. On se le devine, mais on se le dit pas.
Quand je suis avec toi, j’ai l’impression d’avoir des superpouvoirs de marde qui me servent juste quand je suis avec toi. Ils me servent en général à rien parce qu’on se voit jamais c’est pour ça que je dis superpouvoirs de marde. Toi aussi t’en as, des superpouvoirs de marde. Quand je te tourne le dos, même une seconde, mettons que je me lève pour aller aux toilettes et que ton regard se pose sur moi, j’ai l’impression que mes fesses se gonflent et qu’elles deviennent roses. Tu me fais sentir mammifère estique c’est pas rien (superpouvoirs de marde j’t’avais averti)!
T’sais c’est pas tant le fait que je veux pas te voir qui fait que je vais refuser ton invitation. Ah oui bon j’aurais du la dire dès le début, ma réponse, pis après ça te l’expliquer, mais je suis encore entrain de construire mon argumentaire faque c’est compliqué de faire intro développement conclusion j’avais pas de plans, j’avais pas prévu te dire non, non plus. Sorry. Ok, je recommence.
Salut Sam! Ma réponse, c’est non.
Pour plusieurs raisons.
Bon alors, allons-y-je. C’est pas tant que je veux pas te voir, en fait c’est pas ça du tout c’est même pas un peu ça c’est même pas ça pentoute parce que si tu veux la vérité j’attends toujours un peu ce temps-ci de l’année avec impatience, même au mois de juillet sur mon bike, même à quatre heures du matin en Chine, même l’hiver en m’habillant chaudement. C’est notre temps à nous, une pause du reste, on crisse un mute sur ce qu’on travaille à être pis on s’en va être carrément nous-mêmes pendant queuques heures, on s’en va se trouver beau peu importe quoi. Je me trouve des défauts jusqu’à temps que tu poses les yeux sur moi quand tu me regardes j’oublie que les mercredi matins existent, je les oublie pis après je me dis que ça passe trop vite. Je me dis toujours peu importe ce qui m’arrive j’aurai toujours ces petits carnavals qu’on s’organise année après année, ces anniversaires niaiseux qu’on fête ensemble en faisant semblant d’aller prendre des nouvelles d’un vieil ami. T’es pas mon ami, je suis pas ton amie, c’est dit. J’ai jamais été moins amie avec quelqu’un, à ce jour, je pense. Même quelqu’un que j’aurais haï j’aurais trouvé un moyen d’être plus amie avec.
L’autre jour je t’ai vu tu marchais dans la rue, j’étais dans l’autobus on était à une lumière rouge, c’était la nuit. T’étais pas tout seul. T’es jamais tout seul. J’ai eu envie d’avoir dix-sept ans et de dire à la fille à côté de moi: «Tu le sais pas toi han, mais lui là qui vient de passer pis moi on va toujours s’aimer. C’est notre vie, c’est ce qu’on fait de mieux s’aimer sans être ensemble, on a été séparés à la naissance de nos sentiments. Entre deux fois que je le vois, je me dis que ça existe pas finalement, ce genre de sentiment-là sur lequel t’as pas d’emprise, ce genre de sentiment-là qui fait que tout d’un coup tu t’en fous donc ben. Je le revois toujours, comme ça, dans la rue, sans que ça me tente, sans que je l’aie prévu, vraiment malgré moi. En trois secondes, il chie mes calculs d’amour rationnel c’te chien-boeuf-là». J’ai rien dit, je tenais ma poitrine toute ratatinée dans ma paume. Je vous ai regardés vous éloigner. Vous aviez l’air heureux dans l’hiver qui arrivait. Vous aviez donc ben l’air de vous en foutre. Ça m’a magané.
J’irai pas m’assoir de mon bord de table devant toi cette année, Sam, parce que y’a comme un bruit gossant dans mes oreilles quand je te quitte, chaque fois. Un chuchotement régulier qui m’enveloppe tout le corps. Je deviens un genre de houle, molle, régulière, morte, souple pour les temps qui suivent nos adieux annuels. J’ai personne cette fois-ci sur qui aller m’échouer en te quittant et j’ai peur de pas supporter mon propre écho. T’es clairement pas mon ami.
Merci de l’invitation,
Salut là!