Tu m’as appelée tu paniquais ta voix de panique m’a fait paniquer, tu m’appelles souvent en paniquant et ça me fait toujours paniquer. Je suis allée te rejoindre comme toutes ces autres fois, j’avais apporté des collations, des cartes à jouer (?) pis des films qui trainaient chez nous, je voulais bien faire genre : «Ok à soir on fait semblant qu’on est en secondaire 2». Estik que mes films pis moi on aurait pu s’en aller jouer dans un carré de sable à Tombouctou ça aurait pas changé grand chose. Ben oui, j’ai servi à rien. Ça m’arrive souvent de servir à pas grand chose avec toi, mais tu me dis que mon body linguidge tu l’aimes et qu’il te rassure, tant mieux.
Je suis arrivée chez toi, pleine de fausse contenance, je suis allée m’asseoir à côté de toi dans ton lit, je t’ai regardée, t’as souri en te grattant l’oeil, on a braillé en riant un peu, moi parce que j’étais contente d’être là, ça faisait changement de t’entendre pleurer au téléphone, toi parce que tu sais que je sais quand t’as pas dormi. Ça a commencé, t’as dit : «Ouin je feel pas trop», j’ai compris que cette journée-là était pas de celles où on allait faire semblant, j’étais rassurée, mais j’ai détourné le regard, j’attendais que t’enchaines. Je t’ai écoutée me parler de ton problème en souriant de gêne de temps en temps, en faisant une course à relais des yeux entre ta table de chevet et tes yeux rouges avec du vieux mékop coulé, j’ai pas parlé pendant très longtemps, je le connaissais déjà ton problème, j’avais pas besoin de te le dire. Ma meilleure amie (Polly) a une autre meilleure amie (Dolly).
***
Polly et moi on a commencé à se tenir avec Dolly à peu près au même âge, c’est même moi qui les ai présentées une à l’autre. On se tenait souvent les trois ensemble, dans des partys. Dolly, Polly et moi dans une même soirée, ça donnait quelque chose de complètement éclaté, dans tous les sens du terme. On était des petites crisses et on s’en côlissait. Trio infernal, les gars se retournaient sur notre passage et si on avait eu de la bave de spare, c’est sur qu’on leur aurait craché dans’ face.
Leeeeees gââââââârs, ouin pis! Brise-y son cœur de gârs, ça va être faiteeeee.
Je me souviens d’une certaine fois où, encouragée par Dolly et moi, Polly a volé les bottes d’une fille à la fin d’un party alors qu’on s’apprêtait à quitter. Polly criait : «DONNEZ AU SUIVANT MA’MOISELLE». On courait dans la rue, c’était l’automne, on riait comme des petites chiennes, on répétait : «DONNEZ AU SUIVANT MA’MOISELLE» en arrêtant jamais de trouver ça drôle, ça c’est un exemple, mais j’en ai mille de même, chaque soirée dans (feu) ma mémoire a sa réplique plus ou moins bonne qu’on répétait en boucle de macaroni servi à toutes les sauces quand on se couchait les trois ensemble vers le matin et qu’il faisait déjà bleu dans le ciel.
– Tasse-toi un peu, face de prostituée.
– Ok ouin, mais fucking donne au suivant, ma’moiselle, j’t’ai à l’œil, prochaine fois que quelqu’un te demande de te tasser pis que tu tasses pas, j’appelle fucking Chantale Lacroix, elle va venir te botter ton petit culot de cac de marde, elle va te ramasser la Lacroix, t’auras jamais vu ça.
– Farrrmeeee-laaaaa. Pis donne au suivant, c’est moé le suivant.
– Tu peux pas être le premier pis fucking le suivant.
– Estik m’en va drette dire ça à Étienne mink y m’ertexte.
– Ma’moiseellllllllleeeeeeeee.
(Etc.)
Moi aussi, j’ai souvent trouvé que Dolly faisait ressortir le meilleur de ma personnalité. Pendant des nuits entières, j’ai eu avec elle des conversations que je n’aurais probablement jamais eues de ma vie si elle n’avait pas été là. Dans la vie en général, j’avais déjà du fun, mais si Dolly était là, mettons qu’on mettait un à la 10 au chiffre de fun. Party 7 sur 10? Invite Dolly, ça va rester un 7, parce que tu peux jamais rien changé au reste du monde dans un party, mais ton 7 à toi va devenir un 7 à la 10 sur 10.
Avec le temps, j’ai catché pas mal d’affaires, genre que brunch c’est breakfast pis lunch dans un même mot, mais ça, ça a pas rapport. J’ai surtout compris que pour Dolly, ce serait moi ou une autre, elle en avait strictement rien à battre, elle allait continuer de faire ses affaires pis se trouver une autre vie ailleurs dans quelqu’un qui lui accorderait l’attention qu’elle veut. Tranquillement, je l’ai laissée de côté, pas que ça a été facile, non, mais j’ai toujours eu la panique trop facile pour la laisser me laisser dépendre d’elle.
***
Je vaux pas grand chose dans la résolution de ton problème, mais je me dis qu’au moins je suis là. J’ai eu plusieurs dilemmes récemment, à savoir quelle tactique j’allais utiliser pour te faire réaliser que c’était pas normal que tu te pousses toujours d’avec le monde qui t’aime le plus dans des petites comme dans des grosses soirées pour aller chiller toute seule avec Dolly et fuck je suis pas du genre jalouse en amitié, mais là tu développais carrément une histoire d’amour avec elle, que j’approuverai jamais et là je trouve même pu ça un peu drôle. Je suis pas fan du mot normal, mais c’est le seul mot qui me vient en tête, c’est que c’est pas normal votre relation, ou sain si t’aimes mieux regarde prends le mot que tu veux, viens je vais te bercer, les prochains mois vont être tough, mais je vais te faire une tresse regarde viens ça va dégager ton visage.
Un moment donné tu t’en allais veiller, je m’en souviens, il était genre même pas 22 heures, tu m’as dit «Ouin m’a inviter Dolly tout suite sinon fuck pas grand chance j’endure le monde à soir». Et je me suis rappelé toutes ces fois où je te parlais de mes angoisses et je paniquais, je me sentais devenir quelqu’un d’autre que je voulais pas devenir et tu me disais d’apprendre à me faire confiance, apprendre à compter sur moi, tu me répétais comment toi tu me voyais, ça me rassurait que tu me vois forte comme ça, ça m’aidait à y croire. Je me demande quand est-ce que toi t’as commencé à te définir en fonction de Dolly, à te faire un gros auto-fuck you et à te dire que sans elle, tu vaux même pas un tien, ni même deux tu l’auras.
T’engueuler, te bouder ou te laisser t’enfoncer. J’ai choisi aucun des trois, j’ai choisi de juste toujours répondre au téléphone quand tu m’appellerais, avec tout ce que ça implique. Je me suis juré que je serais toujours là, peu importe quoi et souvent t’en as profité. Tu m’as souvent menti, je t’ai jamais confrontée dans ces mensonges-là, je te regardais juste aller, de l’extérieur, j’allais souper avec toi pis après ça tu me disais bonne soirée, t’avais mieux à faire, ailleurs qu’avec moi et mes soirées 7 sur 10. Je veux que tu saches que chaque fois que tu m’as juré que c’était terminé, je t’ai crue, je sais même pas pourquoi encore maintenant, mais je t’ai crue, et je pensais à toi en marchant pour aller travailler, je me disais : «Cette fois-ci, c’est la bonne», je te le jure, j’ai toujours cru en toi.
Je me bats contre un monstre tous les jours de ta vie contre un monstre qui veut toujours plus de toi, tu me dis que tu n’as pas le temps pour plein de choses dans ta vie, que tu dois faire des sacrifices, que tu dois apprendre à bien gérer, tu fais tout ça pour cet hossetie de monstre là et finalement il ne reste plus rien pour moi, ni les autres qui ont toujours été là, ni toi-même qui disparaît à vue d’œil anyways. Tu deviens même pas l’ombre de toi-même, tu deviens un peu comme ce à quoi je sers dans ta vie en ce moment, rien.
Bientôt je t’avertis on va se tanner, benn nonnn on le fera pas on tient trop à toi on va rester, mais on va serrer les dents de plus en plus et toi comme je te connais au lieu d’affronter ça tu vas prendre Dolly par la main, appeler trois quatre de ses bons amis pis vous faire un genre de road trip sur jusqu’à nulle part, tu vas revenir fatiguée pis m’appeler pour me dire que tu veux parler, que tu as un problème, que tu veux vraiment régler ça et je vais y croire que cette fois-là, ce sera la bonne. Je vais toujours y croire, je suis désolée que toi tu y crois pas, je suis désolée qui faille enlever les à la 10 de tes chiffres de fun, commencer à assumer des soirées 7 sur 10 au complet, pis des fois même en bas de ça, on vit avec, on créée plus, on bâcle moins.
T’sais régler ton problème, c’est pas d’être tellement fatiguée que tu t’endures pu le dimanche, te coucher à une heure raisonnable, aller à l’école le lundi, te coucher à une heure raisonnable pour finalement rappeler Dolly le mardi soir parce que tu te dis que t’as été capable d’être trois jours sans la voir (mais tu me dis une semaine).
À date, nos souvenirs ensemble me suffisent encore pour jamais t’abandonner et tes moments de lucidité me comblent de ce manque que j’ai de toi un petit peu chaque jour. Je veux quand même que tu saches que des fois j’ai envie de te dire : «Arrange-toi donc, côliss d’égoïste», je le penserais pas, mais je le feelerais un peu.
Toi tu t’en souviens pas, mais environ la 23e fois que tu m’as dit que c’était terminé, je t’ai crue (oui), on s’est organisé un rendez-vous dans un parc pour le lendemain, pour en parler, j’étais allée t’acheter ta sorte de pomme préférée pour que ça fasse changement de fumer des clops en parlant, j’sais pas, je voulais bien faire les choses. 
T’es pas venue au parc, tu m’as textée que t’avais trop de trucs à faire finalement, j’ai mis ta pomme au frigo en revenant chez nous, en attendant la prochaine fois.